Dans le cadre du Ray's Day, je voulais écrire un petit
quelque chose. Je n'ai pu que le commencer, et il était resté en
attente dans mon ordinateur, le voici seulement maintenant.
C'est le portrait d'une famille qui
lit, ce n'est pas un portrait à vocation sociologique ou politique,
encore moins commercial ; je vous entends déjà : famille
un peu trop riche et cultivée pour représenter la famille française
moyenne. Ce sont des instants, des images qui voudraient être assez
puissantes pour que certains se disent : nous aussi, nous
étions, nous sommes, nous pourrions être, nous serons une famille
qui lit.
Elle. Elle, vous la voyez dans la
pénombre, qui tourne autour de la table d'une cuisine, elle, qui
tourne avec un nourrisson porté en écharpe, elle tourne pour le
bercer, une liseuse à la main. Elle lit, les yeux cernés, son fils
contre elle, elle lit et sa journée d'éléveuse d'enfants se
suspend pour un pur moment imaginaire.
Lui. Lui, vous l'apercevez dans l'ombre, ses
cheveux couverts de poussière, sa nuque rougie, ses mains abimées
tenant une tablette. Assis sur le sol de sa maison en chantier, à
côté des restes du déjeuner qu'il vient de finir, il lit le
chapitre d'un roman.
La petite fille. La petite fille et
toute la beauté de son ravissement quand elle répète la dernière
phrase de l'histoire : « quel tintamarre ! »,
savourant le mot comme elle exulte sur un tourniquet. La petite fille
aux pleurs incoercibles qui ne se console que par cette proposition :
Tu veux une histoire ? Oui, elle veut une histoire, puis une
autre puis encore une autre. Oui dès qu'elle rencontre quelqu'un, on
dirait que tout son charme est dirigé vers un seul but : se
faire raconter des histoires. Beaucoup beaucoup d'histoires.
Elle, qui attrape quelques romans,
pendant que la petite fille court dans les rayons et fanfaronne :
« Je me cache, Maman ! » et la bibliothécaire qui
la lui ramène, à elle, sa mère, un peu penaude, de laisser
l'enfant s'amuser dans le labyrinthe de littérature.
Lui. Il lit avant de dormir. D'abord
pour sa fille, avide de mots, de personnages, d'aventures ; puis pour
sa femme, que sa voix apaise. C'est le lecteur d'histoires de la
famille, un lecteur sérieux qui essaie d'améliorer sa prestation ;
lui qui n'a jamais été un élève prépare ses lectures pour sa
femme, trouve comment mieux lire une histoire enfantine à sa fille.
Elle, qui se souvient. Son père lui
avait dit « Tu lis trop » et longtemps, elle s'était
demandée, si c'était vraiment possible de lire trop.
Aujourd'hui, elle sait que non, que la
vie pulse et que lire entraine la vie, qu'on peut vivre comme on lit,
qu'on peut lire en vivant, vivre en lisant.